Les sentiments du Prince Charles

Les sentiments du Prince Charles est un spectacle-bataille qui ausculte l’échec d’une tentative : celle de parler d’amour. Depuis l’œuvre éponyme de Liv Strömquist, notre spectacle interroge nos intimités amoureuses traversées par des enjeux politiques et socio-culturels collectifs. À travers la fiction discontinue de Charles et Diana, où se mêlent chansons d’amour, ouvrages de sociologues, repas de famille, séductions, ruptures, re-contextualisation historique et intervention médicale dystopique, nous opérons une perquisition théâtrale autonome de nos systèmes normatifs. La famille nucléaire, le couple, l’hétéronormativité y sont autant de contes de fées, à l’intérieur desquels il nous est nécessaire de retrouver nos chemins.

Spectacle créé au Théâtre des Clochards Célestes du 25 novembre au 04 décembre 2023

distribution

Mise en scène et mise en texte – léonce
Texte écrit en étroite collaboration avec toute l’équipe d’après la BD éponyme de Liv Strömquist
Jeu – Lucile Marianne / Vinora Epp / Mathilde Saillant / Arthur Colombet / Emile Bailly
Lumière – Nicolas Douchet
Scénographie – Louise Bernard
Costumes – Lucile Marianne
Production – Juliette Piro / Jérôme Vial / Bal de Loutres

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Nos pieds de biche

Lorsque ce projet nous a été proposé, nous avions tous·tes lu la bande-dessinée Les Sentiments du Prince Charles. Elle faisait l’objet de nos discussions, avait nourri nos analyses intimes, et participé à la construction de nos féminismes. Il nous a paru évident que notre travail théâtral devait lui aussi contribuer à l’outillage critique général. Faire œuvre de l’expérience que Liv Strömquist nous propose ; sortir nos expériences individuelles d’une compréhension privée pour pouvoir les déchiffrer avec des appuis théoriques, et dénaturaliser ce qui, dans la norme du couple et des oppressions liées à la binarité de genre fait système*. Notre langue en est la chienne de garde, il nous faut la transfigurer.

Nous voudrions parler d’amour, mais nous ne le pouvons sans parler de violence structurelle, sans parler d’inégalités, de sacrifice, et d’hétéropatriarcat. Nous constatons que l’amour a bien davantage servi de prétexte à la violence que d’outil pour l’émancipation.

Artisan·es de théâtre, artistes contemporain·es, nous constatons que les matériaux culturels dont nous avons hérité portent la trace de cette escroquerie morale ; depuis les assujettissements volontaires déguisés en amour, jusqu’aux meurtres commis en son nom, en passant par le florilège des violences intra-familiales et inter-personnelles, il est clair que la félicité que nous promet l’amour se dérobe et nous nargue depuis l’éther de nos fantasmes.

Refusant la toxicité des histoires-modèles qui ont jalonné notre apprentissage amoureux, nous prenons notre part dans la reconfiguration poétique du monde en cours, avec les outils qui sont les nôtres ; l’expérience collective de la représentation théâtrale nous donne la possibilité de nous reconnaître, c’est-à-dire d’inscrire nos parcours singuliers dans des architectures communes, et par conséquent, collectivement démontables. Nous réclamons notre langue.

*Le capitalisme patriarcal n’est pas avare d’oppressions ; celles liées à la race, à l’âge, à la classe, à la transphobie, au validisme et à la grossophobie font évidemment partie des conditions de ce système.

Ranger sa chambre

À partir de décembre 2022, nous avons construit Les Sentiments du Prince Charles autour de deux enjeux. D’une part, proposer une expérience théâtrale incisive, et d’autre part fabriquer une façon adéquate de créer collectivement, dans le soin de nos singularités artistiques et de nos conditions de travail. Si la LIV Collective s’est constituée à l’occasion de la création des Sentiments du Prince Charles, nous avions tous·tes une certaine expérience préalable des créations collectives, et souhaitions nous saisir de cette opportunité pour continuer à chercher un fonctionnement harmonieux et juste. En effet, il nous semble incohérent de composer des objets spectaculaires qui examinent les oppressions, sans chercher à liquider les conditions de reproduction de schémas de domination au sein de notre équipe.

C’est avec la compagnie précieuse d’auteurices tellesX que Silvia Federicci, bell hooks, Tal Madesta ou Mona Chollet que nous avons pu interroger notre rapport au modèle du couple. Le travail de bell hooks, dans A propos d’amour, a notamment été un outil très important pour nous, puisqu’elle y questionne les enjeux de langage – que signifie l’amour ? Pourquoi sommes-nous bien en peine d’en donner une définition commune, tout en affirmant sa nécessité vitale ? Depuis ces interrogations, nous avons construit un examen sensible de notre langue, dès lors qu’elle doit parler d’amour. Au plateau, la construction minutieuse de notre parole est au cœur de nos problématiques : en termes d’amour, il y a ce que l’on nous a appris à dire, ce qui nous appartient, ce que l’on essaie d’arracher à l’imaginaire collectif pour le rendre exceptionnel, et finalement, ce qui nous fait taire.

Nous avons habité la matière foisonnante de l’œuvre de Liv Strömquist, désireux·ses d’en conserver l’aspect fragmentaire, l’humour et la richesse conceptuelle. Un temps de travail à la table a nourri les improvisations, qui sont matrices de la perception sensible que nous donnons aux enjeux politiques de l’œuvre.

C’est depuis ce travail d’enchevêtrement collectif que nous avons pu établir le texte de notre pièce, ainsi que les trajectoires de chaque acteur·ice. En évacuant une forme poétique traditionnelle pour lui préférer une multiplicité rhizomique de situations, les figures inaugurales de la pièce doivent se décliner et se transformer au gré des circonstances fictionnelles.

Le travail scénographique de Louise Bernard poétise les paradoxes auxquels nous nous confrontons ; c’est un espace mental blanc-clinique habillé de fantasmes et d’idées reçues, une allégorie plastique qui se joue des motifs de la nature. La nature y est comprise à la fois comme idée et comme décor, dans un immense parterre de fleurs et de feuilles ; notre espace de jeu est un lieu d’expérimentation où résonnent nos féeries contemporaines.

Là, dans ce palais de glace que l’on dirait emprunté à Tarjei Vesaas, s’engage un dialogue avec le travail de Nicolas Douchet, créateur lumière du spectacle. Les couleurs transfigurent avec tendresse notre environnement blanc et démontrent que de ce palais de glace, on peut faire un palais des glaces, un labyrinthe où l’on s’amuse quand on se heurte à l’image de soi. La lumière éprouve la sévérité de l’espace, du propos, et les rappelle au jeu, à la fête et à la dérision. Elle glisse des barbes à papa dans une famille nucléaire, elle apporte l’océan aux sirènes en détresse et donne la forêt aux promeneur·euses égarées.

Et quand la lumière se fait aube ou crépuscule, c’est pour laisser flasher les costumes conçus par Lucile Marianne. On y distingue la citation des personnages de bande-dessinée, dans leur netteté noire. Plus encore, l’origine pop, royale ou strictement contemporaine des figures que nous incarnons s’y organise visiblement ; quelques touches fluorescentes convoquent les chantiers qui nous travaillent et conversent avec la lumière.

Une tension douce, que me chantait

Pour faire œuvre commune de nos peines de cœur, nous avons de la musique, nous avons des histoires, nous avons des contes de fées que la réalité malmène. Nous avons le Prince Charles et Lady Diana, nous avons Whitney Houston, nous avons Nancy et Ronald Reagan. Mais nous avons aussi nos histoires à nous, celles qui nous sont chevillées au corps et qui se reflètent en grimaçant dans les parcours chaotiques des stars de la pop culture. Au plateau, nous organisons donc la tension entre ce que l’imaginaire culturel capitaliste nous enseigne de l’amour, et les tragédies effectives qui ont lieu dans ses histoires singulières. Nous cheminons obstinément dans nos héritages, nous les lisons et les relisons d’un œil critique et attendri. De notre insatisfaction, nous tirons une écriture scénique protéiforme, où nous naviguons dans la liberté de différents codes de jeu. Le travail de représentation de nos intimités est, à leur image, mouvementé. Nos corps sont la projection des structures émotionnelles qui nous habitent : souffrants, grotesques, flamboyants, incertains, agités, absents. Notre parole y est un territoire de conflit, dans la difficulté d’une expression en quête de justesse et de justice. Sur le plateau, notre recherche plastique se conjugue à notre besoin de compréhension, à notre immense désir de poésie, et à notre refus d’être dépossédé·es de nos mots et de nos possibles.

Extrait

GRANDE MATHILDE
Je ne me sens pas très bien.

DIDI
C’est… trivial.

CHARLES
C’est trivial, mais c’est très clair. Alors je pose la question :
Quelle place pour l’amour ?

GRANDE MATHILDE
Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ?

DIDI
Vous m’ôtez les mots de la bouche.

BEL
C’est difficile à dire, car chaque chimère suit son cours.

DIDI
En effet, c’est difficile à dire, chaque chimère suit son cours.

GRANDE MATHILDE
Chaque chimère suit son cours ?

LA SERVANTE
Sachez que dans le désarroi où nous plonge la lucidité
ou bien quand notre besoin d’amour nous dévore
le capitalisme patriarcal/

BEL
/Les mots sont dits !

LA SERVANTE
Le capitalisme patriarcal
sait comment détourner de lui la critique.
Il n’autorisera pas de torpeur
ni de contemplation
il s’amuse de notre vigueur persistante
alors il jette sur nous sa plus ancienne
et sa plus efficace malédiction
La COMPÉTITION.

Résidences

07 — 10 décembre 2022 au Nid de Poule (Lyon)
06 — 13 janvier 2023 au théâtre de la Croix Rousse (Lyon)
21 — 27 février 2023 au théâtre des Clochards Célestes (Lyon)
14 — 24 mars 2023 au théâtre des Clochards Célestes (Lyon)
18 — 24 septembre 2023 à la Parole Errante Demain (Montreuil)
02 — 15 octobre 2023 à l’Assemblée, Fabrique Artistique (Lyon)
21 — 24 novembre 2023 au théâtre des Clochards Célestes (Lyon)

Soutiens

01-DRAC
02-Adami
03-TCC
04-NDP
05-assemblée
06-parole-errante
07-TXR